mercredi 25 février 2009


La pesante liberté de l'autonomie


"Exprimez-vous, assumez-vous, soyez autonomes, réalisez-vous, soyez vous-même, soyez tous des leaders... Tous ces slogans sont des plus anxiogènes quand on ne permet pas aux individus de faire l'apprentissage du gouvernement de soi".

Alain Ehrimberg, Le culte de la performance



Quand on parle de soi, avant de se gouverner, encore faut-il un peu se connaître. "Se connaître" est un programme plutôt chargé. Selon le modèle appelé "la fenêtre de Johari", notre personnalité/notre moi/soi... peut être considérée sous quatre dimensions dont seules les deux premières nous sont connues :


- la dimension publique : ce que je sais et qui est connu des autres ;

- la dimension cachée : ce que je sais de moi mais qui est ignoré des autres ;

- la dimension aveugle : ce que les autres savent de moi et que j'ignore;

- la dimension inconnue : ce que j'ignore de moi et que les autres ignorent également (qui se révèlera uniquement dans des circonstances particulières pour le meilleur ou pour le pire).


Je disais donc que "Se connaître" est un programme ambitieux puisqu'il nous faut dans un premier temps avoir conscience de ce que nous sommes (histoire, valeurs, choix...), que cela nous plaise ou non, reconnaître nos compétences et accepter nos limites.

Mais il est également souhaitable d'écouter ce que l'on dit de nous. Non que les autres nous connaissent mieux que nous-même mais parce qu'ils peuvent voir ce à quoi nous n'avons pas accès parce qu'ils nous regardent d'un autre angle : les autres ne sont donc pas que l'enfer mais un indispensable miroir.

Cependant, rappelons-nous que comme tout miroir, il peut être déformant. Dans un premier temps, il conviendra donc de faire le tri entre :

- ce qui est projeté sur vous et qui appartient à l'autre (généralement exprimé sous forme de reproche et qu'éclaire l'enfantin et néanmoins efficace "c'est c'lui qu'il dit qui est" mais qui peut également prendre la forme d'un compliment à fin de manipulation)

- et ce qui est dit pour vous éclairer dans un formidable élan d'authenticité parfois brutal (le miroir qui vous fait prendre une décision).

Généralement, cette information qui vous est envoyée relève du second cas quand elle vous reste en tête, qu'elle vous perturbe, qu'elle fait écho à quelque chose que vous avez du mal à cerner. Alors, cela vaut la peine de vous attarder et de vous interroger. En quoi ce mot, cette phrase me parle t-il de moi ? Qu'est-ce qui me dérange ? Qu'est-ce que j'ai envie d'en faire ? En quoi cela provoque t-il cette émotion (être lucide sur l'émotion : peur, colère, tristesse, joie...) ?

Une autre façon de se connaître est de faire le point sur les croyances que nous avons intériorisées au sujet de nous-même et qui nous viennent des discours parentaux (adultes référents, instituteurs, professeurs...). Nous avons du mal à nous en dégager parce qu'elles sont devenues des pensées automatiques dont nous n'avons pas forcément conscience et que nous n'avons donc jamais pu remettre en question. L'analyse transactionnelle (AT d'Eric Berne) appelle ces discours des drivers (ce qui conduit nos comportements). Ils sont au nombre de 5 et sont assortis de promesses erronées source de stress car inadaptées :

- Dépêche-toi et croyance qu'il suffit de se dépêcher pour se débarasser des problèmes.
Antidote : fais les choses plus lentement, réserve-toi du temps.

- Sois fort et croyance qu'on va toujours pouvoir prouver qu'on est le plus fort.
Antidote : tu peux compter sur les autres. Ils sont aussi capables de comprendre que tu as le droit d'être content ou pas, d'être vulnérable ou pas.

- Sois parfait et croyance qu'on va toujours pouvoir être parfait à 100 %.
Antidote : tu as le droit de te tromper, tu n'as pas besoin de tout savoir.

- Fais plaisir et croyance qu'on peut faire plaisir à tout le monde.
Antidote : tu ne peux pas plaire à tout le monde, accepte-le. Dis ce qui est important pour TOI.

- Fais des efforts et croyance que lorsqu'on est laborieux et que l'on se fatigue on gagne toujours.
Antidote : tu as le droit de te détendre. Qu'est-ce que tu peux arrêter de faire ?


Chacun se reconnaîtra. C'est un premier pas vers la connaissance de soi. "Se gouverner" sera se poser les questions suivantes : Qu'est-ce que je décide de garder ? Dans quelle situation ? Jusqu'à quel point ? En quoi cela est-il efficace pour moi ? En quoi cela est-il confortable pour moi ? Qu'est-ce que je souhaite à la place ? Quelle est ma décision à partir de maintenant ? Comment vais-je m'y prendre ?


Exercice : l'ombre

Comme l'explique très bien mon amie Christine-Sarah Carstensen (Etre magicien de sa vie et Zen en un clin d'oeil), l'ombre est constituée de tous les éléments qu'une personne réprime ou déprécie et qu'elle met au rebut dans l'inconscient : ses manques, ses peurs, ses faiblesses. Moins la part d'ombre est reconnue comme une partie de la personnalité, plus la personne a tendance à la projeter inconsciemment sur autrui pour éviter de garder en elle-même cette part gênante.

Soyons honnêtes ! Combien de fois avons-nous critiqué quelqu'un pour un trait de personnalité qui pourtant nous servirait bien ? Celui-ci parle trop, celle-là est trop coquette, celui-là encore est trop perfectionniste, celle-là arrive toujours en retard. On supporte peu chez les autres ce qu'ils s'autorisent quand nous nous appliquons à le réprimer. Je vous propose de vous arrêter un instant pour :


- faire la liste des comportements, attitudes... qui vous insupportent chez autrui ;

- puis de réfléchir à ce que ces comportements, attitudes vous apporteraient si vous les adoptiez à des moments appropriés.


Ex : imaginons que je suis quelqu'un qui court tout le temps, j'ai donc sans doute en horreur les personnes lentes. "Lent" est le comportement qui m'agace. Si je choisis d'y réfléchir, je pense que si je mettais un peu de lenteur dans ma vie je gagnerai du confort (plus de temps, plus de calme), de l'estime (préserver ma qualité de vie).

Voilà !



Nathalie Vogelsinger-Martinez


"la pesante liberté de l'autonomie" : formidable expression à mon sens d'Alain Ehrenberg.
L'ombre : concept de la psychanalyse jungienne